Faut-il autoriser les jeunes à voter dès l’âge de 16 ans ? Cette mesure est défendue par Anne Hidalgo, candidate du parti socialiste à la présidentielle. Le député (LREM) François Jolivet vient, quant à lui, de déposer une proposition de loi en ce sens à l’Assemblée nationale. Le candidat écologiste Yannick Jadot s’est également positionné en faveur de l’abaissement de la majorité électorale. Mais cette idée ne fait pas l’unanimité. Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie en Seine-Saint-Denis et membre du Conseil des sages de la laïcité, explique pourquoi il juge cette mesure « assez démagogique ». Pour l’enseignant, qui fait partie du think tank de L’Express, la formation intellectuelle prend du temps. Or, à 16 ans, tous les adolescents ne sont pas forcément dotés du minimum de maturité nécessaire pour exercer leur libre arbitre.
L’Express : Pourquoi cette proposition d’abaisser le droit de vote à 16 ans revient-elle régulièrement dans le débat selon vous ?
Iannis Roder : Avant de s’interroger sur les conséquences éventuelles d’une telle proposition, il convient effectivement de s’arrêter sur les motivations de ceux qui la défendent. L’idée première consiste, il me semble, à vouloir élargir le corps électoral, peut-être avec l’idée de donner ainsi une plus grande légitimité à ceux qui seront élus. L’autre argument, souvent mis en avant, est la nécessité d’impliquer davantage les jeunes dans la chose politique, et donc dans les décisions politiques, en en faisant des citoyens à part entière. Enfin, je subodore une dernière raison, certes moins glorieuse : la tentation de flatter cette tranche d’âge et de capter une partie de ses votes.
« Cette mesure me paraît assez démagogique »
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N’est-il pas illusoire de chercher à susciter l’intérêt des plus jeunes sachant que les 18-24 ans ne se sentent déjà pas, eux-mêmes, vraiment concernés ?
On note, effectivement, que le taux d’abstention, chez les 18-24 ans, va en s’accroissant puisqu’il dépassait les 80% aux dernières régionales et les 70% aux dernières municipales. Est-ce en élargissant le corps électoral que l’on réussira à intéresser davantage les jeunes ? Rien ne nous permet de l’affirmer et il faudrait, me semble-t-il, d’abord faire en sorte d’intéresser les jeunes citoyens qui font le choix de ne pas aller voter. D’autre part, comme je le constate tous les jours sur le terrain en tant qu’enseignant, de nombreux adolescents de 16 ans manquent de connaissances sur le fonctionnement des institutions du pays, sur ce que signifie le concept de souveraineté nationale, sur le rôle des élus ou encore sur ce qu’est profondément une démocratie parlementaire… Même si ces questions sont étudiées en classe, tout cela reste très vague pour une partie non négligeable d’entre eux. Sans parler de ceux qui ont du mal à comprendre les tenants et les aboutissants du jeu politique, qui ne comprennent pas les notions de « gauche » ou de « droite », qui n’ont aucune idée de ce que sont le libéralisme ou le socialisme et qui répètent ce qu’ils entendent par ailleurs : « tous pourris ». Il ne faut pas s’illusionner, ce n’est pas en accordant le droit de vote dès 16 ans qu’on transformera subitement les jeunes en général en êtres lucides et éclairés sur ces questions, au fait des enjeux et des défis. Voilà pourquoi, cette mesure me paraît assez démagogique.
Comment une pensée critique autonome s’acquiert-elle ?
La formation intellectuelle prend du temps et demande de la maturation. Voter est un geste important qui demande de la réflexion et nécessite d’agir en toute connaissance de cause, en étant animé par son seul libre arbitre. C’est ce que rappelle le secret de l’isoloir. L’école participe évidemment à cette construction citoyenne car l’école est aussi là pour apprendre aux élèves à penser par eux-mêmes, et parfois aussi contre eux-mêmes. Elle représente une opportunité d’échapper à ses propres déterminismes. Encore une fois, tout cela s’inscrit dans un processus long. Je ne suis pas certain qu’à 16 ans, beaucoup de jeunes – même s’il y en a sûrement – soient capables de trancher, soient aptes à analyser et à se forger leur propre avis sur des programmes politiques souvent d’abords difficiles. Le manque de maturité peut même représenter un danger.
« Il me semble préférable de posséder ce minimum de maturité nécessaire à une autonomie intellectuelle et émotionnelle, pour participer à l’expression de la souveraineté populaire, pour voter »
L’histoire, voire l’actualité internationale, ont bien montré que la jeunesse, malléable, est toujours un enjeu pour qui sait l’utiliser et on sait très bien que certains acteurs politiques jouent parfois sur les émotions voire sur le ressentiment des individus. D’où un risque d’instrumentalisation. La démocratie est un régime qui, idéalement, réclame de la maturité et une certaine capacité de recul. Si les adultes n’en sont évidemment pas tous dotés de la même manière, que dire des jeunes de 16 ans ? Il me semble préférable de posséder ce minimum de maturité nécessaire à une autonomie intellectuelle et émotionnelle, pour participer à l’expression de la souveraineté populaire, pour voter.
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Si toutefois une telle mesure passait, le rôle de l’école serait d’autant plus fondamental…
Oui, cela nécessiterait de mettre davantage encore l’accent sur l’éducation à la chose publique et à l’engagement citoyen. Pour nous autres, enseignants, le chantier à mener serait encore plus énorme. Si la possession pleine et entière de la citoyenneté a été ramenée de 21 ans à 18 ans en France, c’est qu’on a considéré qu’un jeune qui atteint cet âge peut enfin être considéré comme un adulte possédant son libre arbitre. Est-ce vrai à 16 ans ? Pourquoi le port de signes religieux ostentatoires est-il interdit à l’école mais autorisé à l’université ? Parce qu’on estime que les étudiants concernés font ce choix en toute connaissance de cause et en toute liberté. A 16 ans, ce ne serait pas forcément le cas. En décembre 1936, déjà, le ministre de l’Instruction publique Jean Zay avait fait adopter une circulaire interdisant toute propagande politique et tout prosélytisme religieux au sein des établissements scolaires, justement pour protéger les jeunes des influences politiques et religieuses. « Les écoles doivent rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas », écrivait alors le ministre du Front Populaire afin que les jeunes français profitent de l’école pour construire leur propre pensée et progressent sur la voie de l’autonomie et de l’émancipation. Laissons-en leur le temps.
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