Le rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, remis à la ministre Frédérique Vidal le 7 mai dernier, pointe les responsabilités de chaque acteur dans l’affaire qui avait secoué l’Institut d’études politiques de Grenoble en mars 2021. L’apposition, sur les murs de l’institution d’affiches accusant nommément deux professeurs – surnommés « M.A » et « M.B » par les inspecteurs – « d’islamophobie » et de fascisme avait suscité un emballement médiatique considérable. Dans ce texte de 55 pages, présenté deux mois plus tard, l’action de la direction, d’une partie de la communauté enseignante et des représentants d’élèves, est passée au crible. Mais le point le plus frappant est sans nul doute la sévérité avec laquelle les auteurs du rapport jugent l’attitude des étudiants de l’Union syndicale (US) Sciences Po Grenoble, l’organisation représentative des étudiants majoritaire dans l’établissement. « Lors de son entretien avec trois représentants de l’US, le 10 mars 2021, la mission a été surprise de constater leur manque d’intérêt marqué à l’égard des règles applicables en matière de droit au respect de la vie privée, en matière de conditions d’exercice des libertés individuelles, ou encore de respect des droits de la défense », déclarent-ils. Avant d’enfoncer encore un peu le clou en dénonçant une « attitude surprenante de la part d’étudiants bien avancés dans un cursus de sciences politiques. »
Les dissensions, qui apparaissent au grand jour dans la matinée du 4 mars 2021 avec la découverte de ces fameuses affiches à l’entrée de l’IE, s’exprimaient déjà en interne depuis décembre 2020. Dans le cadre d’un groupe de travail visant à préparer une « semaine pour l’égalité et la lutte contre les discriminations » prévue le mois suivant, un désaccord éclate entre M.A, professeur agrégé, et Mme C., maître de conférences, à propos de l’intitulé de la journée de débat : « Racisme, antisémitisme et islamophobie ». M.A contestant la légitimité de la notion d’ « islamophobie » et sa mise sur le même pied que les notions de racisme et d’antisémitisme, alors que sa collègue la considère comme une notion devenue évidente dans les sciences sociales. Le ton monte entre les deux enseignants qui s’échangent des emails virulents. Courriels dont des étudiants sont également destinataires.
C’est à la rentrée des vacances de Noël, le 9 janvier 2021, que les élus étudiants de l’Union syndicale s’emparent de la polémique. Malgré les appels à l’apaisement de la directrice, l’US mène une campagne virulente contre M.A sur son site internet. Même s’il n’est pas spécifiquement nommé à ce stade, l’enseignant, facilement identifiable, est présenté comme « islamophobe » et « d’extrême droite ». Un autre de ses collègues, M.B, est également indirectement pris pour cible sur les réseaux sociaux. L’US réclame « que des actes concrets soient pris, notamment la suppression de CS (cours spécialisés, Ndlr) sur l’Islam qui seraient tenus par des professeur.e.s (sic) dont les propos ont été mis en cause pour leur islamophobie ». La direction envoie des messages d’apaisement. Mais « à aucun moment cette réponse n’évoque la gravité des accusations d’islamophobie ainsi diffusées par des élus étudiants de l’IEP sur les réseaux sociaux », déplore le rapport. Qui insiste : « Cette réponse n’exige donc pas de ses destinataires la suppression (…) de ce message accusatoire sous peine de poursuites disciplinaires ».
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« Une suffisance confondante »
L’affaire ne s’arrête pas là puisque, le 22 février, l’US publie sur sa page Facebook « un appel à témoignages » sur les « propos problématiques » qui auraient été entendus pendant le fameux cours spécialisé sur l’islam, accompagné d’un message indiquant qu’ « étant donné les problèmes d’islamophobie de certains professeurs de l’IEP, elle souhaite retirer ce cours spécialisé des maquettes pédagogiques pour l’année prochaine si des propos islamophobes y étaient dispensés comme scientifiques ». Elle précise que les témoignages seront anonymisés. « Là encore, la direction de l’IEP ne convoque pas les élus étudiants de l’US pour leur rappeler que ces accusations injurieuses diffusées sur les réseaux sociaux à l’encontre de M.B présentent toutes les caractéristiques du délit d’injures publiques et, outre d’un signalement au procureur de la République, sont passibles de sanctions disciplinaires, ni a fortiori n’exige d’eux qu’ils retirent immédiatement cet « appel à témoignages » de leur page Facebook », est-il stipulé dans le rapport.
Une méconnaissance ou un mépris vis-à-vis de la loi qui, visiblement, choque les auteurs de cette enquête. L’un des responsables de l’US interrogé aurait balayé « avec assurance » les remarques de ces derniers. « La suffisance de ces représentants étudiants est confondante », insistent les inspecteurs. En effet, lorsqu’ils leur demandent si cet « appel à témoignage » garantissant l’anonymat des répondants a été productif, ils ne lui produisent que deux témoignages « anonymes », « imprécis », « peu circonstanciés » et « uniquement fondés sur des impressions et ressentis ». Il est donc inenvisageable qu’un juge puisse les retenir comme présomption, et encore moins comme preuve. Plus grave encore : les membres de l’US ont une vision bien particulière des droits de la défense. La seule réponse que la mission obtient est « une condamnation sans appel de la présomption d’innocence, outil d’une justice de classe, qui muselle la parole des victimes et sert uniquement à perpétuer l’ordre établi, alors que seule la parole des victimes (c’est-à-dire, dans le sens des interlocuteurs de la mission : « des personnes s’estimant victimes ») devrait « compter » et se traduire immédiatement par des sanctions contre les auteurs (c’est-à-dire : « les présumés auteurs ») pour que s’inverse le système qui actuellement conduit, selon eux, à « invisibiliser » (sic) les victimes.
« En fait, ce sont les deux seuls profs de droite à l’IEP… »
En guise de conclusion, le rapport estime que ce sont bien les accusations d’islamophobie à l’encontre de M.A et M.B, ainsi que de fascisme en ce qui concerne M.A., relayées ou diffusées sur les réseaux sociaux par l’US, de manière réitérée, qui sont la cause de la détérioration du climat de l’IEP qui a conduit à l’événement du 4 mars. Accusations totalement infondées par ailleurs. « Tirant partie d’une division des enseignants en deux camps (…) l’US a voulu en profiter pour exclure de l’IEP deux enseignants qui ne partagent pas ses opinions politiques », est-il écrit. Et les auteurs de poursuivre : « Comme l’ont dit tous les étudiants et un certain nombre d’enseignants avec lesquels la mission s’est entretenue : « en fait, ce sont les deux seuls profs de droite à l’IEP… ».
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Pour finir, la mission formule onze recommandations dans différents champs d’action. Elle préconise, notamment, des mesures disciplinaires à l’égard des représentants étudiants concernés. L’enseignant, M.A., au centre de l’affaire, qui, lors du conseil des études et de la vie étudiante (CEVIE) du 26 février dernier, aurait eu un comportement « très déplacé » est aussi mis en cause, comme d’autres de ses collègues. Il fait l’objet « d’un dernier rappel solennel et ferme à ses obligations de fonctionnaire (…) assorti d’une mise en garde sévère pour l’avenir. » Les inspecteurs estiment toutefois qu’il serait « inopportun » de prononcer une sanction disciplinaire à son encontre. Soulignant les « circonstances très particulières » de l’événement.
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