Cette fois, c’est non. Claire*, professeure des écoles en région parisienne est catégorique : pas question de voter pour le président sortant Emmanuel Macron au second tour. « Ni pour Marine Le Pen, ajoute-t-elle. C’est comme si on me demandait de choisir entre la peste et le choléra ! Les seules options possibles, pour moi, sont le vote blanc ou l’abstention ». Au premier tour, la jeune femme avait donné sa voix à Jean-Luc Mélenchon, le candidat de La France Insoumise, arrivé en troisième position au soir du 10 avril dernier. « Pas vraiment par conviction mais selon le principe du vote « utile ». L’idée était justement d’éviter la situation inextricable dans laquelle nous sommes plongés aujourd’hui », poursuit Claire. Et qu’on ne lui parle pas de front républicain destiné à faire barrage au Rassemblement national. « C’est ce que j’ai fait il y a cinq ans en choisissant de mettre le bulletin Emmanuel Macron dans l’urne. Résultat, cinq ans de souffrance et une profession à bout ».
Sur Twitter ou Facebook, la jeune femme est loin d’être la seule enseignante à tenir ce discours. Un positionnement pour le moins inattendu de la part d’une profession historiquement réfractaire aux idées d’extrême droite et combative à son égard. « Il faut se méfier des réseaux sociaux sur lesquels seule une partie de la profession s’exprime car ils peuvent faire office de miroir déformant, met en garde Benoît Teste, secrétaire général de la FSU. Tout en reconnaissant entendre également beaucoup d’échos de salles des profs allant dans ce sens. « De très nombreux collègues sont extrêmement remontés contre la politique menée par le président sortant et par son ministre Jean-Michel Blanquer, explique-t-il. Au point, parfois, de renvoyer les deux candidats finalistes dos à dos, et d’estimer que leurs programmes se valent… Ça a un côté un peu effrayant ». Le phénomène, s’il existe, reste difficile à mesurer. Compliqué également de savoir s’il s’agit d’une réaction épidermique vouée à évoluer d’ici au second tour. Ou s’il s’agit d’une décision bien ancrée et irrévocable.
Quelle option choisiront finalement les enseignants le 24 avril prochain ? Pour esquisser leurs pronostics, les analystes se basent sur les sondages réalisés avant le premier tour de la présidentielle. D’après une enquête du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) sur les intentions de vote menée fin mars 2022, 24 % des enseignants penchaient alors pour Jean-Luc Mélenchon. Le fait que ce dernier se contente de donner comme consigne à ses électeurs de « ne pas donner une seule voix à Marine le Pen » sans pour autant appeler à voter pour le candidat adverse peut en influencer certains. « Il y a là un drôle de paradoxe : dans la dernière ligne droite de la campagne, on a senti l’idée de ce « vote utile » monter, justement pour faire barrage au Rassemblement national. Et les mêmes diraient aujourd’hui qu’ils n’iront pas voter au second tour ? Ça ne me semble pas très cohérent », estime l’enseignant chercheur Laurent Frajerman, spécialiste des politiques éducatives au Centre de recherche sur les liens sociaux. « Je pense que la majorité de ceux qui se disent hésitants se rendront finalement dans les urnes, conscients qu’il s’agit d’un impératif démocratique », poursuit-il.
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« Adhésion ou rejet, la politique menée par Macron divise »
Si Jean-Luc Mélenchon a su attirer une bonne partie de l’électorat enseignant, l’idée que ce milieu pencherait très largement à gauche est de moins en moins vraie. « Certes, ce tropisme de gauche reste assez fort chez eux, c’est même assez net lorsque l’on compare leurs votes à ceux de l’ensemble des autres fonctionnaires », explique le politologue Luc Rouban, membre du Cevipof. Mais le spécialiste d’insister sur le fait que le milieu éducatif est loin d’être homogène : « Les professeurs des écoles sont globalement plus à gauche que ceux du secondaire qui, eux-mêmes, sont plus à gauche que les universitaires ». Selon lui, le champion de la profession dans son ensemble pourrait être en réalité… Emmanuel Macron. Les intentions de vote en sa faveur s’élevant aux alentours de 26 %. « Celui-ci bénéficie donc aussi d’un vote d’adhésion », insiste Luc Rouban. Contrairement à ce que certains discours syndicaux pourraient laisser entendre « tous les enseignants ne rejettent pas l’idée d’une autonomie professionnelle plus importante et d’une variabilité des rémunérations en fonction de l’investissement individuel dans le travail ».
Pour d’autres, la politique menée par Emmanuel Macron a engendré, au contraire, un effet repoussoir très fort. « Selon un sondage Harris Interactive que nous avons rendu public la semaine dernière, 95 % des 25 000 enseignants du premier degré sondés ne font plus confiance au ministère de l’Education nationale. La rupture est totale », assène Guislaine David, co-secrétaire générale du SNUipp-FSU. « Notre position n’est pas simple car, si l’on s’est toujours battu contre l’extrême droite, ce qui est annoncé par Emmanuel Macron aussi bien sur les salaires, sur les retraites, que sur l’école en général est très contesté par les enseignants ». Plusieurs sorties récentes du candidat LREM ont largement déplu et accru la colère d’une partie de la corporation. La tonalité de son discours annonçant son programme avait été jugée trop « libérale », voire « brutale » ou « cassante » par certains. « Par la suite, il a tenté de rectifier en jouant l’apaisement. Mais mieux vaudrait-il, pour lui, ne pas accumuler les provocations dans les jours qui viennent », estime Laurent Frajerman.
Une très faible adhésion aux idées d’extrême droite
L’enseignant-chercheur, qui s’est penché sur le programme éducation de Marine Le Pen, souligne que, si l’on met l’enjeu démocratique – néanmoins central – de côté, les promesses de cette dernière peuvent être perçues par certains comme « moins ouvertement anti-profs » et « plus sociales » que celles d’Emmanuel Macron. « La candidate du RN prône le retour à l’école de Jules Ferry, insiste beaucoup sur l’autorité et la discipline, propose de revaloriser le bac, de maintenir le Capes et l’agrégation, d’augmenter les salaires en tenant compte du mérite mais sans miser sur une hiérarchie plus forte. A première vue, des idées moins urticantes pour certains enseignants », explique Laurent Frajerman ». Même si, ne nous y trompons pas, l’obsession identitaire est bien là, cachée au détour d’une phrase ou d’une allusion », précise-t-il.
Les enseignants pourraient-ils être tentés de voter plus massivement qu’en 2017 pour le Rassemblement national ? La plupart des analystes n’y croient pas. « Je dirais qu’1 à 2 % seulement des enseignants penchent structurellement vers l’extrême droite. Peut-être un peu plus si on tient compte des votes cachés très difficiles à estimer. Cette très faible adhésion aux idées du Rassemblement national est l’une des singularités de ce milieu », explique Laurent Frajerman. « Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon au premier tour, tentés par Marine Le Pen au second tour, seront plutôt issus de catégories sociales plus modestes et moins diplômées, renchérit Luc Rouban. Avant d’ajouter : « Je pense que les enseignants qui ne feront pas le choix de Macron opteront plutôt pour l’abstention et le vote blanc. »
Au risque d’avantager, indirectement, Marine Le Pen. Les syndicats enseignants appellent-ils pour autant ouvertement à un barrage républicain ? Les consignes diffèrent selon les organisations. Le SE-Unsa est très clair. « L’extrême droite ça ne s’essaye pas. Marine Le Pen n’apportera aucune solution aux défis qui sont devant nous. Pour nous, elle doit être battue dans les urnes le 24 avril », déclare son secrétaire général Stéphane Crochet. Dans un communiqué, le Sgen-CFDT demande également « à toutes celles et tous ceux qui sont attachés à la démocratie et aux valeurs de la République – liberté, égalité, fraternité – de se mobiliser dimanche 24 avril pour battre la candidate du rassemblement national en votant pour Emmanuel Macron ». Le Snalc, pour sa part, ne se prononcera pas. « Notre organisation est indépendante de toute orientation ou parti politique, c’est inscrit dans nos statuts », explique son président Jean-Rémi Girard. La FSU, première fédération syndicale de l’enseignement, devrait, quant à elle, s’exprimer le mercredi 13 avril au soir. « Laissons-nous le temps de la concertation », expose Benoit Teste, son secrétaire général. Conscient que chaque mot devra être soigneusement pesé.
*Le prénom a été changé
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